Les canaux d’irrigation, un ancien patrimoine de Cerdagne
Bien que certains puissent être en fonctionnement depuis près de 1000 ans, les canaux d’irrigation de Cerdagne n’ont pas rempli une fonction unique d’arrosage depuis leur création. Au cours du haut Moyen-Âge, l’usage industriel à destination des draperies, des moulins, des scieries ou encore des filatures a été le principal facteur de leur développement, l’arrosage des cultures n’étant autorisé qu’en aval des industries ou les jours de chômage. Ce schéma s’est reproduit sur l’ensemble des grandes rivières de Cerdagne : Sègre, Angoustrine, Carol ou encore Vanéra. D’autres canaux sont mis à profit pour les usages domestiques et d’arrosage des communautés paroissiales, sur des torrents secondaires et des sources. Seuls les fonds de vallées sont alors concernés par la présence de canaux et ce jusqu’au 19ème siècle.
A ce moment, l’ingénierie publique investie par le Nouveau Régime appuie fortement la création de nouveaux canaux, à usage exclusif d’irrigation, situés sur le haut des vallées et couvrant des surfaces plus importantes, entre 50 et 200 hectares pour la plupart. Les statuts des communautés d’irrigants sont cadrés par la loi sur les Associations Syndicales de Propriétaires de 1865, charge à elle de travailler, par la suite, à un règlement d’eau sur leur ouvrage. Les anciens canaux médiévaux ne sont pas abandonnés et maintiennent l’irrigation en fond de vallée, parfois réalimentés par les ouvrages récemment construits. Depuis, et jusqu’à aujourd’hui, les canaux ont une vocation quasi-exclusive d’arrosage agricole et vivrier, quelques exceptions faites pour l’alimentation d’espaces de loisirs.
Ce schéma spatio-temporel peut se retrouver, par exemple sur la commune de Llo, où les premiers canaux d’irrigation se situaient sur les torrents et sources sillonant le village et ses mas : Rec del Pastoret, Rec de la Calella, Font Grossa etc. A partir de 1864, la construction du canal d’Espluga débute, avec une prise d’eau dans les gorges de Llo, sur le Sègre. Ce canal, dont le règlement sera approuvé dix ans plus tard, réalimente les torrents et sources et prolonge l’irrigation jusqu’au port de Llo à travers ses sept kilomètres de linéaire et ses nombreuses rigoles secondaires serpentant entre coteaux et vallons : rigoles de Las Salères, Cortal Blanc, Clot Farner etc. Les deux époques se superposent en un complexe hydraulique cohérent, encore d’usage.
Cette évolution des usages, industriels, domestiques et d’irrigation, et des paysages depuis plus de dix siècles invite à considérer l’usage et le fonctionnement en cours des canaux de Cerdagne comme une actualité en mouvement, en perpétuelle construction et évolution.
Olivier Deroche
Pôle Eau-Environnement
Communauté de communes Pyrénées-Cerdagne