Rencontre dans le futur Parc naturel régional des Corbières Fenouillèdes avec Jean-Pierre Tixador, éleveur de vaches charolaises en agriculture biologique. En complément à la ferme familiale basée à Sournia, il a développé sa propre structure dans le Parc naturel des Pyrénées catalanes, à Réal, siège de son exploitation. Il témoigne des difficultés du métier face à des contraintes sanitaires et administratives de plus en plus chronophages. Il pense que l’avenir passera par des initiatives collectives de producteurs locaux engagés dans une démarche qualitative, à condition que des structures les soutiennent dans leur organisation.
Quels sont les défis de l’élevage ?
Il y en a beaucoup. Il faut faire face à une situation qui se complexifie sur les plans administratif, commercial et sanitaire. Je suis à la fois gestionnaire, éleveur et commercial. Le système est devenu chronophage. Tout prend des proportions. Comme hier, j’ai dû me rendre à Couiza pour trouver un nouveau vétérinaire, après avoir essuyé plusieurs refus. C’est trois heures pris sur tout le reste. C’est en permanence comme ça, des petites choses qui s’ajoutent les unes aux autres. Cet été il fallait trouver trois personnes capables de regrouper le troupeau en estives pour un contrôle sanitaire. Difficile car tous les éleveurs sont surchargés de travail. S’ajoute la lourdeur administrative comme calculer mes cotisations salariales, ce que ne fait plus la mutualité agricole. Tout gérer devient compliqué.
Comment en êtes vous arrivé à créer votre exploitation ?
Je me suis installé en 1989 dans l’idée de développer l’exploitation familiale. Mon père avait 40 vaches et vendait des veaux maigres à l’exportation. Il a été précurseur dans l’élevage extensif. Il a défriché des landes et ouvert des pistes. Il ne pratiquait pas la transhumance et gardait le troupeau à proximité l’été. J’ai entrepris de doubler le cheptel, de trouver des pairies pour le fourrage et de rénover les bâtiments. J’ai repéré des terres à Réal, 5 ha que la SAFER m’a vendus après les avoir proposés aux propriétaires locaux. Plus tard, j’ai repris une exploitation en location à Puyvalador. J’ai pu ainsi intégrer le groupement pastoralede Puyvalador et bénéficier des estives. J’ai commencé la convertion en agriculture biologique en 1998 et j’ai obtenu l’homologation en 2000. En 2001 mon père a pris sa retraite. J’ai créé une EARL pour louer sa ferme. Aujourd’hui, les deux sites rassemblent 300 vaches.
Comment vous vous organisez ?
Les deux sites sont à 80 km de distance. C’est lourd en temps et en frais, mais indispensable pour la viabilité de l’entreprise. L’hivernage a lieu à Sournia entre 500 et 1 000 m d’altitude, et l’estive se déroule dans le Capcir à plus de 1 500 m, là où je produis les 3/4 du fourrage.
Comment valorisez-vous votre production ?
Je commercialise l’essentiel en direct, à des particuliers. J’ai embauché une personne pour m’aider à livrer à domicile. Là aussi c’est un choix nécessaire pour continuer à produire de la qualité et dégager un revenu. Dernièrement, pour réduire le cheptel, j’ai vendu 29 veaux à la coopérative. Le prix n’a pratiquement pas évolué depuis 30 ans. Bio ou conventionnel, c’est pareil ! Individuellement, nous faisons des efforts pour un élevage respectueux de l’animal et du consommateur, mais nous sommes dans un contexte global avec des prix fixés par les gros faiseurs.
Pourquoi ne pas passer par les circuits de vente de produits biologiques ?
Par manque de temps. Pour placer sa viande dans une boutique bio, il faut le plus souvent passer par des centrales d’achat. En tant qu’éleveur, nous sommes isolés. Nous n’avons pas les contacts pour engager une démarche commerciale. L’idéal serait qu’un organisme fasse cette mise en relation. Nous pourrions imaginer que cet organisme nous aide à répondre collectivement aux besoins des centrales d’achat. Mais cela nécessite de connaître l’état des productions locales.
Etes-vous touché par le changement climatique ?
Le changement climatique, je l’observe depuis 15 ans. A l’époque, nous mettions les bêtes à Saint-Martin-de-Fenouillet dans un vallon où la végétation verdoyante a laissé la place à des arbustes aux racines profondes. Même à Sournia, la qualité de l’herbe a changé. Elle est devenue plus dure. J’imagine la difficulté des éleveurs installés dans des zones plus arides. Cet été, en estive, nous avons eu une période sèche. Nous avons augmenté la rotation des animaux sur les parcelles pour ne pas épuiser la ressource. Nous travaillons en fonction du climat. Les zones humides ont été pacagées au début de la saison, pour rendre possible la repousse. Le vacher se réfère à un carnet de pâturage, qui cadre les déplacements des bêtes d’une parcelle à l’autre, de mai à novembre. Les troupeaux mangent les premières pousses sur les propriétés privées. Puis ils montent dans les pâturages d’altitude, pour ensuite redescendre dans les prés privés, à proximité des villages.
Quels liens avez-vous avec le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes ?
Les estives se situent sur le site Natura 2000 Capcir-Carlit-Campcardos, géré par le Parc naturel régional. Nous avons signé un contrat dans lequel le groupement pastoral s’engage à mettre en défens une zone où vit le Grand Tétras. En contre-partie nous percevons des fonds européens pour rénover les clôtures ou la cabane du vacher. En 2018, grâce aux 20 000 € de subvention, nous construirons un parc de contention sur Rieutort. Je souhaiterais travailler d’avantage avec le Parc, pourquoi pas en bénéficiant de la marque «Valeurs du Parc naturel régional». Cette mention garantirait aux consommateurs que les animaux sont élevés et nourris dans un espace préservé. J’imagine une entente plus collaborative, où le Parc aurait une connaissance plus fine de chaque exploitation pour mettre en place des mesures plus adaptées.
Quels sont vos besoins ?
Nous avons besoin d’organismes qui nous facilitent les démarches, trouvent des débouchés économiques, forment des ouvriers agricoles, animent un réseau de paysans pour des actions collectives, interviennent pour le regroupement foncier… L’agriculture biologique a également besoin de soutien. Nous vivons dans un département où il y a toutes les ressources naturelles pour développer le bio pourtant, l’agriculture conventionnelle reste dominante. Peut-être que si nous percevions une aide pour l’achat des aliments, nous verrions davantage de conversion en bio. J’achète des aliments de qualité 2 à 3 fois le prix du bas de gamme. Je complète avec de la farine que je broie, à base de petit spois et de céréale. Il faut bien alimenter les animaux. C’est important.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
J’en ai pour 4 ou 5 ans avant de prendre la retraite. J’ai commencé à rechercher une personne pour la reprise de l’exploitation, car une entreprise comme celle-ci ne se transmet pas du jour au lendemain. Mais j’ai reçu peu de contacts. Je continue à m’investir pour le groupement pastoral de Puyvalador dont je suis président. Deux jeunes éleveurs se préparent à nous rejoindre, l’une dans la production de bovins en bio, un autre dans l’élevage d’ovins. J’espère qu’ils sauront s’adapter à un système de plus en plus complexe et qu’ils trouveront autant de satisfaction que moi à développer leur entreprise .